Exploitants de locaux commerciaux, Syndics et Particuliers, comment réagir face à la renégociation forcée de vos contrats en fourniture d’énergie ?

Article du 14/10/2022 mis à jour le 06/11/2022

Syndicats de copropriétaires, particuliers, professionnels exploitant de sites (usines, locaux de stockage), vous avez reçu un courrier de votre fournisseur en énergie vous informant de modifications tarifaires. Comment répondre à ce courrier ? (Téléchargez notre article et notre modèle de réponse)

En cette période de fin d’année, et compte tenu de la crise internationale opposant l’Europe à la Russie, les coûts du gaz et plus globalement ceux de l’énergie ont considérablement augmenté.

Face à cette situation les fournisseurs en gaz et énergie tentent actuellement d’anticiper la situation qui devrait survenir au début de l’année 2023, conjoncture future que les économistes tentent aujourd’hui de prédire dans leurs boules de cristal mais que nul ne saurait deviner.

Ces fournisseurs en gaz et énergie se sont donc replongés dans leurs contrats afin de se débarrasser au plus vite de ceux qui auraient été négociés à des tarifs trop bas (en faveur des consommateurs) et dont la clause de révision ne leur permettrait pas d’absorber les augmentations actuelles sans réduire profondément leurs marges.

Aujourd’hui les Syndics de copropriétés, les professionnels exploitant des sites de production (usines, locaux de stockages, bureaux, locaux commerciaux) et même les particuliers, reçoivent tous des lettres rédigées en des termes similaires et dans lesquelles leur fournisseur d’énergie les informe que :

  • Compte tenu du contexte et du coût d’approvisionnement pour le fournisseur ce dernier est aujourd’hui contraint d’augmenter le prix ;
  • En cas de refus par le titulaire de cette augmentation il est invité à « faire connaître son refus » par mail au service client du fournisseur ;
  • En cas de refus le titulaire du contrat « peut » résilier.

A la lecture de telles lettres le reflexe initial des titulaires des contrats (syndics de copropriété, professionnels exploitant des sites de production, ou simples particuliers) est souvent le même :

  • Ils pensent que s’ils n’acceptent pas la modification le contrat sera résilié (c’est souvent faux notamment si le titulaire ne relève pas des conditions d’application de l’article L. 224-10 du code de la consommation : c’est-à-dire s’il n’est pas consommateur ou si son contrat concerne la fourniture d’une puissance électrique supérieure à 36 kilovoltampères ou pour une consommation de gaz naturelle supérieure à 30.000 kw/h par an – voir notre point 4 infra) ;
  • Ils pensent que s’ils refusent l’augmentation il suffit d’indiquer par mail ce refus (il ne faut pourtant pas répondre ainsi).

Ces lettres adressées par ces fournisseurs d’énergie visent essentiellement à obtenir le départ spontané des cocontractants dont le contrat leur serait défavorable au regard de la conjoncture.

Une grande prudence s’impose donc lors de la lecture de tels courriers.

  1. Impossibilité de résilier unilatéralement le contrat au regard de la conjoncture

A titre liminaire il faut noter que tout dépend des termes de votre contrat et que la présente analyse est sujette à vérification et nuance en fonction du contrat vous liant à votre fournisseur d’énergie.

Néanmoins, et sous réserve des stipulations figurant dans votre contrat de fourniture en énergie, il n’est pas possible pour le fournisseur de résilier unilatéralement son contrat de fourniture d’énergie aux seules raisons d’une conjoncture économique passagère (une telle clause créerait par essence un déséquilibre significatif qui entraînerait sa perte).

Une telle résiliation ne serait possible qu’en cas de force majeure, laquelle n’est pour l’instant pas caractérisée comme le rappelle justement le Professeur Louis THIBIERGE dans sa note « Guerre en Ukraine et contrats en cours : la prudence ! », JCP 2022, 1101.

Dès lors il convient de noter que votre fournisseur d’énergie ne peut résilier unilatéralement votre contrat au regard des circonstances actuelles, ni même vous imposer des hausses visant à répercuter le coût de son approvisionnement.

  1. Tentatives de modifications unilatérales du contrat au regard de la conjoncture

En effet, les fournisseurs d’énergie tentent actuellement de revoir à la hausse leurs contrats dont les indices de prix ne prendraient pas suffisamment en compte les hausses du marché.

Cependant si votre contrat comporte des indices, et si vous ne relevez pas des conditions prévues à l’article L. 224-10 du Code de la consommation (voir point 4 infra), vous n’êtes pas contraints de renoncer à ces derniers afin d’accepter une augmentation extracontractuelle imposée par le fournisseur au doigt mouillé, et ce quelle que soit la conjoncture actuelle.

Attention cependant votre refus ne doit pas relever d’une mauvaise foi contractuelle.

  1. Seule solution : opposer un refus « subtile » et amorcer une entrée en pourparlers pour maintenir le contrat le temps de vérifier (i) le caractère excessivement onéreux pour le fournisseur de poursuivre le contrat et (ii) les solutions proposées.

Vous ne devez absolument pas refuser catégoriquement de réviser le contrat si votre fournisseur d’énergie vous apporte la preuve d’éléments semblant rendre la fourniture de sa prestation excessivement onéreuse.

En effet, si les lettres adressées par les fournisseurs d’énergie visent à vous inciter à résilier (ce qui arrangerait le fournisseur), il convient de noter que la seule issue offerte à ces fournisseurs est la solution prévue à l’article 1195 du code civil.

Cet article vise la théorie de l’imprévision en droit des contrats (solution anglo-saxonne qui a été introduite dans notre droit des contrats en 2016 et qui a été consacrée lors des crises COVID19 et que nous avions pu exposer dans un précédent article « Droit des contrats & CORONAVIRUS : Négociation ou résiliation, le sort de mon contrat face à la crise sanitaire ? ») :

« Si un changement de circonstances imprévisible lors de la conclusion du contrat rend l’exécution excessivement onéreuse pour une partie qui n’avait pas accepté d’en assumer le risque, celle-ci peut demander une renégociation du contrat à son cocontractant. Elle continue à exécuter ses obligations durant la renégociation.

En cas de refus ou d’échec de la renégociation, les parties peuvent convenir de la résolution du contrat, à la date et aux conditions qu’elles déterminent, ou demander d’un commun accord au juge de procéder à son adaptation. A défaut d’accord dans un délai raisonnable, le juge peut, à la demande d’une partie, réviser le contrat ou y mettre fin, à la date et aux conditions qu’il fixe. »

Au regard de ces éléments, tout refus de négocier émanant de votre part pourrait s’assimiler :

  • Au mieux à un refus justifiant la saisine de la juridiction par le fournisseur d’énergie, ce qui vous ferait perdre l’opportunité de négociations au cours desquelles le fournisseur aurait dû maintenir son tarif initial tout en cherchant avec vous une solution (ce qui n’est pas dans votre intérêt) ;
  • Au pire, à de la mauvaise foi de votre part voire à une inexécution contractuelle si votre contrat comportait une obligation pour les parties de négocier en cas de situation relevant de la théorie de l’imprévision (dans ce cas la résiliation fautive reste encourue par vos soins).

* * *

Dans ces conditions nous vous recommandons d’opter pour les solutions suivantes :

  1. Etudiez si les nouvelles conditions proposées par le fournisseur d’énergie sont acceptables ou bonne au regard des autres conditions du marché
  1. Acceptez ces nouvelles conditions si elles vous conviennent et si elles sont intéressantes, ou refusez les si elles sont insatisfaisantes ;
  1. Si vous les refusez, il faut impérativement tout mettre en œuvre pour obtenir une négociation avec votre fournisseur d’énergie, tout en vous assurant que votre refus ne soit pas fautif. A ce titre évitez de répondre de manière spontanée en intitulant votre courriel « refus ». Optez pour une « demande de précisions » :

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« Madame, Monsieur,

Nous avons bien reçu votre lettre du [date de la lettre du fournisseur] sollicitant une modification de nos conditions tarifaires pourtant déjà négociées jusqu’en [date de fin du contrat].

En l’état et compte tenu du manque d’information dont nous disposons sur la question (au regard notamment de la position des prix du marché dans les prochains mois, mais aussi des perspectives d’évolution des prix du gaz qui pourraient n’être que temporaires et revenir à la baisse en fonction de la conjoncture internationale, ou au regard des solutions qui viendraient à être mises en place au niveau national, européen ou international…), nous ne sommes pas en mesure de donner suite à la proposition formulée par vos soins dans les délais impartis.

Néanmoins nous sommes disposés à vous rencontrer pour prendre en compte les nouvelles circonstances évoquées par vos soins, afin d’en étudier les conséquences au regard des conditions nous liant mais aussi au regard des intérêts de chacune des parties.

Nous vous invitons à nous donner vos disponibilités pour nous permettre d’échanger avec vos équipes sur les solutions qui pourraient être envisagées. »

__________________________________________________________

  1. Engagez alors des négociations avec votre fournisseur en regardant à côté les tarifs des autres fournisseurs durant cette période. Notez que cette phase obligera votre fournisseur à maintenir ses tarifs durant cette négociation conformément aux exigences de l’article 1195 du code civil.
  1. Soit vous aboutissez à un accord, soit vous laissez le fournisseur saisir le juge qui devra alors se plonger dans l’économie du contrat pour en modifier les termes dans l’intérêt le plus juste et équitable, ou prononcer sa résiliation.

* * *

  1. Mise à jour sur la possibilité pour le fournisseur de modifier unilatéralement le contrat

Sur la question de la possibilité pour le fournisseur de modifier unilatéralement son contrat (évoquée dans notre point 2 supra), une précision devait être apportée pour donner suite aux retours que nous avons pu avoir de plusieurs clients concernés par cette même difficulté.

Il convient en effet de rappeler aux lecteurs de cette note que les dispositions des articles L. 224-1 et suivants du Code de la consommation encadrent strictement les contrats de fourniture d’électricité et de gaz naturel.

Ces articles permettent au fournisseur de gaz et d’électricité de réviser unilatéralement son contrat dans des conditions strictement énoncées à l’article L. 224-10 du Code de la consommation :

« Tout projet de modification envisagé par le fournisseur des conditions contractuelles est communiqué au consommateur par voie postale ou, à sa demande, par voie électronique, au moins un mois avant la date d’application envisagée. En matière d’électricité, les projets envisagés de modification des dispositions contractuelles relatives aux modalités de détermination du prix de la fourniture, ainsi que les raisons, les conditions préalables et la portée de cette modification sont communiqués de manière transparente et compréhensible.

Cette communication est assortie d’une information précisant au consommateur qu’il peut résilier le contrat sans pénalité, dans un délai maximal de trois mois à compter de sa réception.

Les dispositions du présent article ne sont pas applicables aux modifications contractuelles imposées par la loi ou le règlement. »

Néanmoins ces dispositions ne sont pas opposables aux professionnels non-consommateurs (sociétés, industries, artisans qui auraient souscrit le contrat en lien direct avec leur activité) et concernent exclusivement (i) les consommateurs et (ii) les non professionnels ayant souscrit des contrats de fourniture d’une puissance électrique égale ou inférieure à 36 kilovoltampères ou pour une consommation de gaz naturelle inférieure à 30.000 kw/h par an.

Cette précision est cruciale.

En effet, en prenant en compte le fait que la consommation moyenne par mètre carré est de 110 kw/h on peut estimer que tout contrat relatif à une surface supérieure à 272 m² doive faire l’objet d’une analyse particulière lorsqu’il est souscrit par un non professionnel (les consommateurs se voyant quant à eux obligatoirement appliquer le régime prévu à l’article L. 224-10 du Code de la consommation quelle que soit la surface concernée)…

Ainsi les copropriétés et syndicats de copropriété devraient légitimement échapper à ces articles.

Plus généralement il conviendra pour les professionnels (et pour les non-professionnels ayant souscrit un contrat de fourniture supérieur à 30.000 kw/h par an) d’analyser les clauses du contrat avec beaucoup d’attention (notamment en vérifiant toute présence d’un potentiel déséquilibre significatif des clauses entre le souscripteur et le fournisseur, s’agissant d’un contrat d’adhésion non négocié mais imposé).

Pour les consommateurs il conviendra d’envisager les 3 hypothèses suivantes :

  • Soit les contrats de fourniture de gaz et d’électricité sont fixés sur le prix du marché et non indexés sur le tarif réglementé : dans ce cas il n’y a aucune protection et les fluctuations suivent la hausse des prix ;
  • Soit les contrats de fourniture de gaz et d’électricité sont indexés sur le tarif réglementé et dans ce cas ils bénéficient du bouclier protecteur mis en place par les pouvoirs publics ;
  • Soit les contrats de fourniture de gaz et d’électricité sont prévus avec un taux fixe et sur une durée fixe et dans ce cas l’article L. 224-10 du Code de la consommation pourra trouver à s’appliquer, les dispositions prévues au point de la présente note ne pouvant leur être transposables (il conviendra tout de même de vérifier la teneur des clauses de révision présentes ou non au contrat dont l’application trouvera à s’appliquer, et surtout il faudra s’assurer du parfait respect du formalisme imposé au fournisseur d’énergie qui a une obligation d’information strictement prévue par l’article L. 224-10 du Code de la consommation lui permettant de modifier la tarification le mois suivant l’information du changement tarifaire et permettant au consommateur de résilier sans pénalité dans les 3 mois).

Enfin et conformément aux dispositions de l’article préliminaire du code de la consommation, il convient de rappeler que le consommateur est « toute personne physique qui agit à des fins qui n’entrent pas dans le cadre de son activité commerciale, industrielle, artisanale, libérale ou agricole ».

Dès lors et s’agissant des « professionnels » personnes physiques, la question sera plus sensible car nombre d’entre eux tenteront d’échapper au code de la consommation et à son article L. 224-10 en rappelant leur activité « professionnelle ».

Or en la matière la jurisprudence reste des plus fluctuante car le juge doit apprécier si le contrat a un « rapport direct » avec l’activité professionnelle

Ce point devra donc être particulièrement étudié par ledit professionnel personne physique souhaitant échapper à ce régime.

Pour plus d’information sur ces sujets nous vous invitons à lire l’article « La répercussion au consommateur de la hausse des tarifs par les fournisseurs d’énergie (gaz et électricité) : quand et comment contester » (article de notre consoeur ROORYCK SARRET en date du 8 septembre 2022).

* * *

Maître Aurélien AUCHER, Associé du Cabinet LIZEE AUCHER et auteur de cette note se tient à votre disposition pour analyser vos contrats et vous accompagner dans la stratégie à mettre en place.

Pour tout renseignement contactez-le par courriel à aurelien@lizee-aucher.com ou par téléphone au 01 85 09 94 40.

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Photographies Peter Allan © pour le Cabinet LIZEE AUCHER

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