La fin du secret professionnel de l’avocat français ?

Félicitations à un garde des sceaux qui ose lancer un « ultimatum » aux avocats (selon le dernier titre de Libération) pensant les contraindre à accepter des fragilisations inacceptables à leur secret professionnel.

Un ultimatum visant à faire passer un projet de loi « pour la confiance dans la justice » où le secret des échanges avec leurs clients pourrait désormais être écarté dès que des juges éclairés viendraient à estimer souverainement que l’avocat aurait été « manipulé » par son client… une confiance relative donc.

Un garde des sceaux qui oublie manifestement les valeurs qui furent celles du serment de sa première profession.

Un garde des sceaux amnésique mais qui par un récent passé fut outré d’avoir vu ses échanges téléphoniques professionnels (soumis au secret) analysés en dehors de tout cadre procédural pour vérifier s’il était celui qui avait prévenu le mis en examen Sarkozy de l’avancée de sa procédure.

Un garde des sceaux qui souhaite aujourd’hui faire oublier qu’il avait même déposé plainte contre ces mêmes juges en étant représenté par le défenseur des avocats devenu vice Bâtonnier de Paris, Me Vincent Nioré spécialiste de la perquisition en cabinet d’avocat (zone de pêche interdite devenue zone de pêche contrôlée, bien que sportive pour nos magistrats)…

Bref, un garde des sceaux dont nombre de magistrats auraient à coup sûr affirmé, lorsqu’il jouissait de son aura d’acquitator, qu’il était « manipulé » par ses clients … afin de pouvoir le contraindre à les laisser accéder aux secrets de cette précieuse clientèle.

Laissons l’homme pour ce qu’il est devenu : un homme politique qui a troqué une robe pour une cravate, et dont le discours a soudainement oublié les vers d’Edmond Rostand et les « Non merci » de son héros panaché.

Revenons à la source de cette colère qui gronde en notre profession.

Le secret professionnel de l’avocat c’est le métier d’avocat.

Y porter atteinte c’est remettre en cause notre profession et notre rôle de défenseur des droits de nos clients.

Le public ne semble pas percevoir les conséquences gravissimes qu’une telle atteinte pourrait avoir.

Soyons sérieux, nous ne nous battons pas pour garder secret la recette d’une boisson pétillante internationalement connue, mais pour quelque chose de bien plus précieux que les citoyens ont parfois du mal à comprendre avant que d’être eux même confrontés à la réalité judiciaire : les mots et paroles de nos clients, leurs craintes, les motifs profonds de leurs actes (parfois inavouables).

Les avocats demeurent cette soupape où les citoyens qui découvrent le rouage judiciaire (où l’huile vient souvent à manquer) peuvent enfin parler librement sans crainte d’être jugés.

Rappelons que le législateur a tout de même consacré le droit des citoyens à « garder le silence » lorsqu’ils sont en garde à vue, un droit qui doit même leur être rappelé sous peine de nullité des actes.

En effet, aucun sol sacré n’existe dans notre droit processuel afin d’offrir aux prévenus des moments de parole et d’échange sans crainte et en totale liberté… à l’exception de l’entretien qu’ils peuvent avoir avec leur avocat auprès duquel ils peuvent parler librement, se confier pour que leur défense soit adaptée à ce qu’ils furent ou ce qu’ils sont devenus, et surtout à ce qu’ils ont fait.

C’est le décret de l’Assemblée constituante du 9 octobre 1789 qui a consacré le droit pour le « citoyen décrété de prise de corps » de « conférer librement en tout état de cause » avec son ou ses conseils.

Finalement le secret de l’avocat fut consacré et toute violation de ce dernier est aujourd’hui punie par un an d’emprisonnement et 15.000 euros d’amende (article 226-13 du code pénal).

La toute puissance de ce secret est telle qu’il dépasse la volonté du client et lui survit à sa mort. En effet l’avocat ne peut être délié du secret par son client (Cass 1ère Civ 6 avril 2004), ni par ses héritiers en cas de décès .

Mais en ces années de changement et pour rétablir la « confiance en la justice » nos jeunes législateurs nous annoncent avoir rapidement trouvé un accord en commission mixte paritaire (sans consulter les principaux intéressés) pour que ce droit consacré par les pères de notre révolution en 1789 soit limité en 2022.

Que justifie une telle urgence à créer de telles brèches ?

On m’opposera que le secret connaît déjà des limites :

– le secret médical disparaît pour un médecin « lorsqu’il s’agit d’atteintes ou mutilations sexuelles, dont il a eu connaissance et qui ont été infligées à un mineur ou à une personne qui n’est pas en mesure de se protéger en raison de son âge ou de son incapacité physique ou psychique » ;

– le secret de la confession religieuse est aujourd’hui invité à s’effacer en cas de privations, de mauvais traitements ou d’agressions ou atteintes sexuelles infligés à un mineur ou à une personne vulnérable (L 434-3 du code pénal) ;

– Le secret de l’avocat quant à lui connaissait déjà des limites depuis la transposition des directives européennes avec le blanchiment dont l’avocat français doit rapporter les craintes éventuelles à son Bâtonnier notamment si l’opération à laquelle il participe semble en relever (cela visant essentiellement à éviter toute complicité de l’avocat).

Pour autant certains estiment aujourd’hui que les échanges avocat/client devraient connaître d’autres limites.

En effet ces ayatollahs de la bien-pensance estiment que le terrorisme, la délinquance financière, les assassins, ne devraient pas bénéficier de ce secret pour échapper à la justice.

Cette vision de certains citoyens et parlementaires est totalement tronquée : la justice ne peut être exclusivement rendue à l’aune de ce que des juges viendraient trouver dans des cabinets d’avocat. Ce serait repousser le problème : la discussion avocat client ne remplacera jamais une enquête.

Nos enquêteurs disposent de moyens bien plus efficaces et ne sauraient sérieusement revendiquer la mise au pilori du secret de l’avocat.

En fait le motif est tout autre :

– La justice doit faire face à des cabinets structurés dont les moyens financiers sont parfois immenses. Or le budget de la justice ne suit pas.

– D’autres encore diront que ce texte vise à faire disparaître le sentiment d’impunité totale dans lequel se vautreraient certains partners de grands cabinets. Une fois de plus cela est faux car nos ordres sont là pour faire veiller au respect de la déontologie (et si les décisions de nos ordres peuvent parfois soulever l’ire de magistrats, notons qu’il en est de même de certaines décisions du CSM qui a récemment refusé de sanctionner un magistrat qui avait expulsé des avocats d’une salle d’audience pour juger leurs clients sans défense, ou qui a jugé par le passé qu’un juge moustachu médiatique qui connaissait le caractère falsifié des faux listings de Clearstream et qui les avaient remis à ses collègues en leur cachant cette information pouvait continuer d’exercer). Dans tous les cas notre code pénal permet de sanctionner les brebis galeuses où qu’elles se trouvent et de telles craintes sont sans fondement.

– Surtout on peut craindre que ce projet soit inspiré par des parlementaires qui semblent bien connaître le droit anglo-saxon mais qui ignorent manifestement le droit français : rappelons qu’en droit français tous les échanges entre avocats sont confidentiels, contrairement au droit anglo-saxon où cela doit être notifié sur le courrier. Ce particularisme surprend toujours nos clients étrangers et nous restons très attachés à cette protection. Aujourd’hui certains (dont quelques uns de nos confrères manifestement mal inspirés) veulent faire entrer l’avocat en entreprise et lui accorder un statut salarié comme aux US pour ses prestations de conseil. Ils pressent donc le législateur pour affaiblir le secret de ses correspondances. Mais nous ne sommes pas un pays de common law et n’avons pas vocation à le devenir même pour de prétendues raison européennes (en effet les Belges partagent nos craintes et le Brexit clôt le débat d’une uniformisation nécessaire).

Quelle sera la prochaine étape ? Rappelons en effet que l’avocat français (sur le modèle de la confession catholique) peut recevoir tout secret de son client et le défendre, contrairement à l’avocat américain (inspiré quant à lui par la foi protestante) qui se parjure s’il défend un client qu’il sait coupable et qui doit tout mettre en œuvre pour ignorer la réalité qui serait contraire à son axe de défense.

A ceux d’entre vous qui ont poussé courageusement leur lecture jusqu’ici, voici les dernières nouvelles : tel un président américain qui a récemment su ouvrir à son peuple les portes du congrès, notre garde des sceaux a finalement pris sa plume hier pour mettre en garde sur Twitter les avocats qui seraient selon lui manipulés par leurs instances représentatives.

Il nous a offert par la même occasion un bel exemple de paranoïa qui n’augure rien de bon sur la manière dont nos juges pourraient caractériser la manipulation du client justifiant de faire tomber le secret professionnel de l’avocat… ce même avocat dont on lui apprend aujourd’hui qu’il serait manipulé par ses propres instances représentatives, et qu’il serait trop bête pour s’en rendre compte.

Néanmoins notre garde des sceaux souligne que ce projet de loi permettrait de protéger l’avocat plaideur plus que l’avocat conseil qui ne mériterait pas selon lui la même protection. Il confirme une fois de plus que cette réforme est un premier pas vers un ersatz d’avocat en entreprise mal inspiré de nos voisins américains.

Manifestement nous n’avons pas la même lecture du texte, mais rappelons que si un avocat fait l’objet de doute quant sa participation et conseil dans l’infraction pénale commise par ce client, alors dans ce cas l’avocat est soumis au code pénal comme son client (avec tout de même un contrôle de documents récupérés à son cabinet en cas de perquisition pour éviter toute atteinte au secret en dehors des faits justifiant la perquisition).

Au regard de ces éléments, soutenez vos avocats et soutenez la préservation du secret des échanges avocat client.

Aurélien AUCHER

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