Décret « Magicobus 2 » : fin de l’oralité en procédure civile ?

Le décret 2025-619 du 8 juillet 2025 portant diverses mesures de simplification de la procédure civile et intitulé Magicobus II par des praticiens fans d’Harry Potter, a glissé un article qui semble désormais emporter l’attrait de l’oralité des débats dans les procédures orales.

Voici nos conseils pour y échapper.

En effet dès que les parties sont assistées ou représentées par un avocat dans ce type de procédures (ce qui est souvent le cas en droit commercial, droit civil, droit social…), et qu’elles ont conclu après un renvoi, les juges seront alors tenus par le nouvel article 446-2-1 du code de procédure civile rédigé en ces termes et confirmé par la circulaire diffusée par le Garde des Sceaux, voyez un peu :

« Lorsque les débats sont renvoyés à une audience ultérieure, que toutes les parties comparantes sont assistées ou représentées par un avocat et présentent leurs prétentions et moyens par écrit, leurs conclusions doivent formuler expressément les prétentions ainsi que les moyens en fait et en droit sur lesquels chacune d’elles est fondée avec indication pour chaque prétention des pièces invoquées et de leur numérotation. Un bordereau énumérant les pièces justifiant ces prétentions est annexé aux conclusions. Les conclusions comprennent distinctement un exposé des faits et de la procédure, une discussion des prétentions et des moyens ainsi qu’un dispositif récapitulant les prétentions. Les moyens qui n’auraient pas été formulés dans les précédentes conclusions doivent être présentés de manière formellement distincte.

Le juge ne statue que sur les prétentions énoncées au dispositif et n’examine les moyens au soutien de celles-ci que s’ils sont invoqués dans la discussion.

Les parties doivent reprendre dans leurs dernières conclusions les prétentions et moyens présentés ou invoqués dans leurs conclusions antérieures. A défaut, elles sont réputées les avoir abandonnés et le juge ne statue que sur les dernières conclusions déposées. »

En soit, rien de nouveau : le respect du principe du contradictoire consacré par la CEDH s’impose et les parties doivent pouvoir débattre sur les seuls arguments excipés en amont par leur adversaire.

Mais les praticiens savent que dans le cadre des procédures « orales » les débats peuvent parfois faire apparaître de nouveaux éléments (que ce soit par des témoignages intervenus à l’audience ou par des échanges et confrontations tirés de la plaidoirie ou des questions du juge qui parfois a déjà analysé le dossier, cela arrive).

Jusqu’alors le juge pouvait en tenir compte dans son délibéré ou, si l’adversaire (gêné ou surpris) soulevait les difficultés pour répondre en si peu de temps à ces arguments nouveaux, le juge pouvait autoriser une note en délibéré aux parties sur cette question.

Désormais, cela prendra définitivement fin le 1er septembre 2025 : il sera impossible de lancer un sort en plaidoirie, sans avoir pris soin d’en informer son contradicteur…

On a du mal à voir comment cela sera conciliable avec l’audition de témoins à l’audience (notamment en droit social), ou avec les questions des juges dont les audiences se transforment de plus en plus en examen de droit pointu sur le dossier (ce qui rassure car on comprend que le dossier a été sérieusement analysé en amont).

On perdrait définitivement notre liberté durant ces débats au profit d’une pratique de certains magistrats qui préfèrent voir les avocats « déposer » leur dossier sans plaider.

Espérons que les juges ne s’y engouffrent pas pour des raisons de simplicité, et conservent leur pouvoir souverain autorisant la note en délibéré lorsque les débats viendraient à soulever de nouvelles questions.

Il nous faudra désormais faire acter au plumitif par le greffier les éléments nouveaux ainsi survenus lors des débats pour tenter de solliciter la note en délibéré, et de la provoquer… car alors le juge ne pourra pas la refuser.

En effet, n’oublions pas que les articles 442 et 444 du Code de procédure civile n’ont pas été modifiés :

« Le président et les juges peuvent inviter les parties à fournir les explications de droit ou de fait qu’ils estiment nécessaires ou à préciser ce qui paraît obscur »

« Le président peut ordonner la réouverture des débats.

Il doit le faire chaque fois que les parties n’ont pas été à même de s’expliquer contradictoirement sur les éclaircissements de droit ou de fait qui leur avaient été demandés. »

Or si le juge « doit » le faire ce n’est plus une mesure d’administration de la justice non susceptible de recours, mais bien une obligation qui lui est faite de nous laisser nous exprimer.

Prenez donc soin de vous preconstituer la preuve de tels refus de magistrats, pour vous préserver la possibilité d’un pourvoi en cassation sur cette question qui relève d’un intérêt certain.

L’oralité tend donc à disparaître de la procédure civile, charge pour nous de la préserver avec les armes qui nous restent offertes.

Aurélien AUCHER – Avocat Associé

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