Décret « RIVAGE » : un naufrage annoncé pour les droits des justiciables

De quoi parle t’on ?

Qu’est-ce que le droit au recours ?

Le droit au recours est le droit qui vous permet de « faire appel » devant un second degré de juridiction lorsque le jugement obtenu n’est pas conforme à vos attentes.

Soit que la juridiction n’ait pas fait droit à vos demandes, soit qu’elle y ait fait droit partiellement, c’est un droit qui vous permet de soumettre à nouveau votre entier dossier à un autre magistrat ou à une collégialité de magistrats pour tenter d’obtenir votre demande.

Si la décision obtenue (arrêt) n’est toujours pas satisfaisante, il vous reste un ultime recours devant un 3ème degré de juridiction (« pourvoi en cassation ») portant exclusivement sur des questions de droit (les faits ne seront plus tranchés car définitivement jugés par les juridictions précédentes).

D’autres recours existent encore, mais ils sont plus rares (recours en révision, saisine de la CEDH, question préjudicielle à la CJUE, QPC…) et ne concernent pas la majorité des dossiers traités par nos juridictions.

Le droit au recours est donc une garantie juridique permettant d’assurer que vos moyens de fait (jusqu’au 2nd degré de juridiction) et de droit (jusqu’au 3ème degré de juridiction) aient été parfaitement entendus et appréhendés par différents magistrats.

C’est un droit essentiel qui évite de faire reposer le sort d’une vie sur une décision, ou plus humblement qui évite d’accorder la force de la chose jugée à une sentence rendue en premier ressort souvent par un juge unique débordé d’affaires, qui n’a hélas pu consacrer le temps nécessaire à l’analyse d’un dossier parfois compliqué ou dont les arcanes auraient pu lui échapper.

C’est aussi un droit qui permet de lisser et d’uniformiser les interprétations divergentes d’un même dossier qui peut ressortir de l’analyse d’un magistrat ou d’un autre, et qui constitue l’essence même de l’évolution de cette norme qu’est la jurisprudence (laquelle peut fluctuer et évoluer dans le temps avant de se figer).

C’est un droit qui s’impose au regard du caractère humain de la justice, car oui rappelons le, la justice est humaine : elle ne doit donc pas reposer entre les mains d’un seul homme car l’homme n’est pas parfait (et la justice en sait quelque chose).

Ce droit fondamental est consacré par notre constitution (article 16 de la Déclaration des Droits de l’Homme et du Citoyen de 1789, et décision 96-373 du Conseil constitutionnel) mais aussi par la Convention Européenne de Sauvegarde des droits de l’Hommes (article 13).

Hélas, ce droit subit actuellement un nouvel assaut de la part d’apprentis réformistes qui tentent de fluidifier la gestion de notre justice.

Car depuis plus de 10 ans c’est comme cela que la justice s’appréhende en hauts lieux : des flux à réguler.

Exit l’humain, exit l’idéal de justice, exit le fond du dossier… seul doit primer le respect des délais (objectif louable et nécessaire au regard des récentes condamnations prononcées contre la France), mais sans mettre les moyens financiers, car de moyens nous n’en avons pas à consacrer à notre Justice (la France consacre 0,20% de son PIB à cette dernière, celle qui fut le « Pays des Droits de l’Homme » est désormais l’une des plus mauvaises élèves de l’OCDE).

Aujourd’hui, nous avons appris que notre Garde des Sceaux, sous couvert d’une consultation de nos Ordres, va s’empresser de prendre un décret ô combien décrié.

Quels sont les objectifs poursuivis par le nouveau décret RIVAGE ?

Le décret RIVAGE (doux acronyme portant sur la Rationalisation des Instances en Voie d’Appel pour Garantir l’Efficience) a été proposé pour répondre à la lenteur des procédures judiciaires et à l’engorgement des tribunaux.

Il devait viser à simplifier la procédure d’appel et à en réduire le nombre de dossier en droit civil et droit de la consommation.

Il devrait donc porter sur des domaines élargis qui vont du droit de la famille (divorce, garde d’enfants, pension alimentaire, partage des biens…), au droit de la construction, au droit au bail (et notamment pour les baux commerciaux dont le loyer annuel est inférieur à 15.000 €), au contentieux portant sur les ventes de véhicules automobiles, mais aussi sur le droit du travail, le droit des contrats, les contentieux portants sur le recouvrement d’une créance dont le montant serait inférieur à 10.000 euros… ou même 40.000 euros.

Oui…jusqu’à 40.000 euros.

Reprenons.

Jusqu’à ce jour les contentieux inférieurs à 5.000 € ne bénéficiaient plus de la possibilité de faire appel et d’un second degré de juridiction, c’est-à-dire d’une chance d’obtenir une nouvelle analyse des faits du dossier.

Seul le pourvoi en cassation restait recevable (rappelons tout de même qu’un tel pourvoi reste alors utopiste car il nécessite de recourir à un avocat à la Cour de cassation qui exerce un métier différent du nôtre, reposant sur l’analyse pure de la question juridique, et dont les coûts ne sauraient généralement être inférieurs à 5.000 € HT).

Le nouveau décret tend quant à lui à porter ce plafond à 10.000 euros (ce qui intégrerait une part très élevée des contentieux) et a été accompagné d’une « Note de Cadrage » du ministère de la justice précisant qu’une « autorisation préalable d’interjeter appel » allait être instaurée pour les litiges supérieurs à 10.000 euros.

Ainsi le Premier Président de la Cour d’appel pourra souverainement apprécier dans certain type de contentieux si l’appel pourra être reçu, et le Ministère de la justice de lister les cas qui pourraient faire l’objet d’un tel rejet d’appel : procédure de référé, affaires familiales, ou litiges inférieurs à 40.000 €.

Comprenez bien, en l’état actuel de ce projet de décret, même si vos demandes sont supérieures à 10.000 euros, vous pourriez être privé de votre droit d’appel de manière péremptoire (décision administrative non contradictoire et sans débat) si le Président de la Cour d’appel juge souverainement votre recours non digne d’intérêt et :

  • Si votre litige relève d’une procédure d’urgence essentielle ou de la cessation d’un trouble manifestement illicite,
  • ou si votre litige porte sur la garde d’un enfant ou un litige familial,
  • ou encore si votre litige porte sur une faute ou inexécution contractuelle vous ayant causé un préjudice inférieur à 40.000 euros… une broutille !

Des litiges « inférieurs à 40.000 euros »… on parle là de 90% du contentieux.

Ce n’est pas sérieux.

Force est de constater que cette réforme ne permettra aucunement de désengorger les juridictions de première instance.

Si la justice était mieux rendue et dans les temps, peut-être que les recours seraient moins nombreux.

Priver les justiciables de ces derniers n’est aucunement une garantie de qualité.

Le Conseil National des Barreaux avait déjà dénoncé ces déviances dans sa résolution du 14/11/2025, mais c’était avant de lire la note de « Cadrage ».

Depuis la diffusion de cette note interne du Ministère de la Justice, les Barreaux de BRETAGNE (dont celui de NANTES) ont lancé une pétition en ligne pour s’opposer à cette ineptie juridique (Ouest France). Le Barreau de CHATAUROUX a lui aussi dénoncé ce projet (La Nouvelle République). De Douai à Dunkerque les Barreaux du NORD se sont levés contre ce projet menaçant le Garde des Sceaux d’actions qui seront engagées par le Avocats (La Voix du Nord)

Même l’USM (UNION SYNDICALE DES MAGISTRATS) rejoint partiellement cette analyse et critique ce projet de décret. Ses membres n’ont pas manqué de rappeler à juste titre « que la collégialité est de plus en plus souvent absente en première instance ce qui légitime d’autant plus le droit d’appel ». 

Finalement ce sont les magistrats eux même qui en parlent le mieux : « Le droit au recours et l’équité du procès sont deux notions si cardinales en droit qu’elles sont en réalité presque consubstantielles à l’appréhension, à l’identification et à l’étude d’un système juridique » (Xavier DOMINO – Maître des requêtes au Conseil d’État, Cahier du Conseil Constitutionnel n°44 – Juin 2014) …

« L’identification et l’étude d’un système juridique » ?

Mais que diront de nous ceux qui étudieront notre système juridique dans les années à venir, parleront-ils d’une justice censitaire ?

Aujourd’hui en tout cas aucun pays européen n’a été aussi loin.

Est-ce une avancée ?

Vos avocats en doutent et ne manqueront pas justement d’engager tous les recours possibles contre ce décret.

Aurélien AUCHER – Avocat au Barreau de PARIS – Chargé d’Enseignement à l’Université PARIS 1

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